Toucher l'esprit du regard
Annabelle Marquis poursuit depuis plusieurs années déjà une expression picturale des plus singulières alliant à la fois l’audace à la perspicacité.
Si l’émotion n’est pas exclue, elle se manifeste avant tout par la révélation, la surprise et l’étonnement. Elle préconise une approche ludique des formes par l’émerveillement esthétique en créant des chassés-croisés où matières et textures interagissent de manière étroite avec le sujet. Reconnaissable ou non.
Ce qui intéresse avant tout Annabelle Marquis, c’est donc toucher. L’œil, bien sûr, le sien comme celui du regardeur, mais aussi l’esprit, en créant des embuscades visuelles, des jeux de pistes picturaux dont les règles sont établies par le rapport ténu entre le conscient et l’inconscient. Le sien. Le nôtre. En fait, en parcourant ses tableaux, nous suivons les pistes de son élaboration. De manière… consciente et surtout inconsciente.
Avant toute chose, Annabelle Marquis adore le rapport tactile avec la matière. Toucher, tâter, sentir, manipuler agissent chez elle comme un troisième œil. Cette particularité n’est pas anodine, car elle constitue une partie importante de sa démarche artistique et influence indéniablement tout son processus créatif. En effet, son rapport tactile avec la matière trace littéralement les prémisses de l’œuvre encore à venir. L’inconscient en devient l’utérus, le conscient, le moteur, le germe. Au toucher le tableau prend lentement forme. Magazine, papier, tissu, tout passe dans le moulin de sa psyché. Elle les déchire, les tâte, telle une aveugle décodant le braille. « Je commence sans idée préconçue, c’est le papier qui me dirige. » Elle étale ainsi ses déchirures sur la toile et peu à peu les formes se révèlent. Ainsi, les sujets surgissent, tantôt reconnaissables tantôt moins, jamais cependant ils ne proviennent du néant, toujours signifiants d’un état, d’une idée et encadrés par un métier… Toujours liés à son profond désir de communiquer, de partager une partie d’elle-même, de son étonnement spontané au contact de la matière.
De cette approche nous devinons que la concentration joue nécessairement un rôle important dans l’ensemble du processus créatif. Auquel s’ajoutent les empreintes du passé, devenues aujourd’hui des automatistes d’artiste… Son père photographe, lui a à maintes reprises, démontré depuis son enfance l’importance du cadrage dans la manière de capter ce qui l’entoure. Il lui a inculqué la notion de penser l’image. De la placer dans un espace mental dynamique. Puis, son [ancien] métier de graphiste a, lui aussi, laissé quelques précieuses empreintes. Pendant le processus de création, l’expérience de l’œil aura une incidence directe sur la direction que prendra le tableau. Équilibre des masses, composition et force de frappe de l’image seront pesés et sous pesés par instinct. Ainsi l’image doit impérativement ne jamais laisser le regardeur dans l’indifférence. L’image doit accrocher le regard, susciter l’intérêt, puis le détail fera le reste… C’est ainsi que le conscient et l’inconscient s’uniront dans l’exploration de plusieurs hypothèses visuelles regroupées. L’artiste prenant soin de toujours laisser une place importante au regard imprévisible de l’autre… et du sien propre.
Ainsi, l’importance du métier joint à son étonnante force intuitive forment une alliance prolifique donnant accès à un univers dans lequel la richesse des motifs et des textures nourrit notre esprit et notre regard pour notre plus grand plaisir.
Rédigé par Robert Bernier